Confrontés à la violence que génèrent les conflits géopolitiques régionaux et internationaux, la survie des chrétiens d’Orient semble chaque jour remise en cause en Irak, au Liban et en Palestine. En réponse à cette violence, le phénomène de la migration chrétienne illustré par la diminution du nombre des citoyens chrétiens dans la région du Moyen-Orient, s’amplifie de jour en jour. Il est dû en grande partie, à la montée des intégrismes dans la région conjuguée avec la pression insoutenable de l’occupation israélienne. Il y a quelques jours, 58 personnes ont été tuées dans la prise d’otage de la Cathédrale Syriaque Catholique Notre-Dame de la Délivrance, à Bagdad, et des colons extrémistes s’en prenaient à des églises en Palestine occupée. Cette pression est en train de réduire comme peau de chagrin la taille des communautés historiques des chrétiens d’Orient dont la diversité et l’importance étaient autrefois significatives. Cette véritable hémorragie humaine constituerait le signe avant-coureur de la disparition de la présence chrétienne dans cette région du monde qui la vit naître, il y a plus de 2000 ans.
L’examen du processus d’émigration massive des chrétiens d’Orient soulève des interrogations plus profondes que certains intellectuels et hommes politiques tendent à éluder. Il ne s’agit pas seulement de faire le constat de l’affaiblissement inexorable de la présence chrétienne au Moyen-Orient. Mais il faut aussi souligner que vider la région de ses habitants chrétiens équivaut, à la priver de sa diversité civilisationnelle et historique, en desséchant spirituellement la région pour la mener vers plus de fanatisme et d’extrémisme, et pour alimenter le fameux « choc des civilisations » si utile pour justifier la violence. En effet pendant des siècles, le Moyen Orient avait aussi pour particularité de regrouper les chrétiens d’Orient au sein de nombreuses églises et courants du christianisme dans une diversité et un dynamisme extraordinaire. Ainsi, à Jérusalem, il y a encore plus de 13 Eglises et 3 patriarches. A Taybeh, un des villages palestiniens entre Jérusalem et Ramallah, où il se trouve trois églises de rites différents : catholique romain, catholique grec et grec orthodoxe, on a pourtant perdu la moitié de la population chrétienne en trente ans. De même, le nombre des chrétiens palestiniens à Jérusalem-Est (Al-Qods) ne dépasse guère 11 mille, soit à peine 7,1 % des habitants palestiniens arabes établis dans la ville, alors qu’en 1944, leur nombre était d’environ 39.000. Dans l’ensemble, en Terre sainte, la population chrétienne ne représente plus que 2 ou 3 % de la population totale.
C’est après la visite du Saint Père en Palestine et en Irak, en mai 2009, et partant du triste constat de la situation des chrétiens d’Orient, que le Vatican décida de consacrer un synode à ce sujet. Celui-ci vient de se tenir à Rome, dans le Palais du Vatican. Ce synode s’est ouvert le 10 octobre 2010, sur le thème « Communion et Témoignage ». Il visait à prendre le pouls réel de la situation des chrétiens d’Orient, trouver des solutions aux divisions des chrétiens entre eux et répondre aux défis de demain. Pour la première fois, nous avons pu assister à la participation des responsables catholiques des différents rites et des différents pays du Moyen-Orient pour « parler de ce qui les concerne », tout en étant aussi attentifs à la présence « orthodoxe et protestante ». C’était une première « communion » et beaucoup espèrent que cette démarche ne s’arrêtera pas en si bon chemin.
Au cours de ce synode et après plus de deux semaines de travail, de nombreuses décisions importantes ont été prises, démontrant une très bonne compréhension des questions qui entravent la vie des chrétiens d’Orient et la Paix dans la région. En réponse à cette situation préoccupante, plus d’une quarantaine de propositions, allant de la Bible, à la paix en passant par la langue arabe et le statut de la femme, ont été élaborées, votées et adoptées à la majorité des deux tiers par les pères synodaux. Ces derniers ont accordés une grande importance aux aspects géopolitiques, cause fondamentale de la précarité de chrétiens d’Orient. Prenant acte de la situation dans leur message final, les évêques réunis ont clairement espéré qu’une paix entre Israéliens et Palestiniens sur la base de la coexistence de deux Etats devienne réalité et ont souhaité que cesse l’exode des chrétiens.
1- Critique de l’occupation israélienne et de la politique de colonisation en Palestine
Certaines décisions du synode méritent toute notre attention et l’une des plus importantes concerne la Palestine. Réuni au Vatican, le synode des évêques pour le Moyen-Orient, dans son message final, a demandé samedi 30 octobre 2010, à la communauté internationale et à l’ONU, de travailler « sincèrement à une solution de paix juste et définitive dans la région, et cela par l’application des résolutions du Conseil de sécurité et la prise des mesures juridiques nécessaires pour mettre fin à l’occupation des différents territoires arabes par Israël ». Selon le synode, c’est la seule et unique façon de garantir au peuple palestinien « une patrie indépendante et souveraine (où) […] vivre dans la dignité et la stabilité » et à Israël de « jouir de la paix et de la sécurité au-dedans des frontières internationalement reconnues ».
Lors de ce synode, si les évêques n’ont pas manqué de reconnaitre « les souffrances et l’insécurité » des Israéliens, ils ont insisté sur la vie des chrétiens de Palestine directement menacée par l’occupation militaire israélienne, pointant l’intolérable injustice subie par les Palestiniens, qu’ils soient chrétiens ou musulmans. Dans leurs travaux, les pères synodaux détaillent les conséquences de l’occupation militaire israélienne. Avec force exemples et illustrations des brimades et persécutions quotidiennes endurées par le peuple palestinien comme si les accords d’Oslo et de Washington n’avaient jamais existés. En effet, les palestiniens pâtissent continuellement du manque de liberté de circulation, imposé par le mur dit de séparation et les barrages militaires. Ils souffrent les démolitions de leurs maisons, les perturbations de la vie sociale et économique. Enfin, ils vivent depuis des décennies entre les villes bouclées, les camps de refugiés et les prisons israéliennes.
C’est aussi par ces actes que se déploie de façon pernicieuse l’injuste violence envers les chrétiens de Palestine, dont la vie quotidienne est rythmée par les obstacles érigés par l’occupation israélienne afin de les empêcher d’aller au travail, à l’école ou à l’hôpital, d’aller prier ou visiter les lieux saints. A titre d’exemple, les chrétiens de Jérusalem-Est qui subissent les mêmes affres que leurs frères musulmans, ne peuvent ni construire de nouvelles maisons, ni restaurer leurs anciennes demeures. Ils vivent séparés de leurs proches des autres régions de la Palestine, et sont assujettis à des lois arbitraires et à des taxes abusives qui les poussent hors de la ville sainte les contraignant à renoncer à leurs biens et à leurs droits sur cette terre. Quant à ceux établis dans les autres régions de la Palestine, notamment en Cisjordanie, ils vivent dans une grande prison, cernés par le mur de la sécurité israélienne qui se révèle être plutôt le mur de la ségrégation raciale et de l’annexion.
Il s’agit vraisemblablement du premier document du Saint-Siège, qui évoque aussi clairement les conséquences de l’occupation militaire israélienne, constituant selon les prélats l’une des principales causes de l’émigration des chrétiens de Palestine, de l’amoindrissement de leur liberté de mouvement et de la situation économique très difficile qu’ils subissent. Tout cela n’est plus supportable pour les chrétiens palestiniens et l’avenir est bien sombre et incertain pour les jeunes générations chrétiennes du Moyen Orient. Malgré cela, le synode n’a pas manqué d’exhorter les chrétiens à ne pas vendre leurs propriétés dans la région, car elles restent « vitales pour ceux qui restent là et pour ceux qui, un jour, reviendront ».
Un autre point particulièrement intéressant soulevé par les participants du synode, est la situation de la ville sainte de Jérusalem et en particulier les initiatives unilatérales israéliennes qui menacent sa composition et risquent de modifier son équilibre démographique, culturel et social. En conséquence, le synode reprend l’appel du Vatican à l’octroi d’un statut spécial à Jérusalem : « La ville sainte de Jérusalem pourra obtenir le statut juste qui respectera son caractère particulier, sa sainteté et son patrimoine religieux, pour chacune des trois religions, juive, chrétienne et musulmane ». Cela constitue une référence directe du synode, sans la citer, à la résolution 242 du Conseil de sécurité des Nations unies qui avait condamné, en novembre 1967, l’« acquisition de territoire par la guerre » et avait demandé le « retrait des forces armées israéliennes des territoires occupés » à l’issue de la Guerre des Six jours. Cette résolution a été suivie de plusieurs autres de la même inspiration mais sans effets jusqu’à ce jour.
2- Déconstruire les mythes :
Au cours de ce synode exceptionnel, les prélats réunis ont aussi jugé nécessaire de déconstruire des mythes qui cautionnent les injustices au Moyen-Orient. Ainsi, l’occupation israélienne de la terre de Palestine ne peut se fonder sur les Saintes Ecritures. Ils ont clairement reproché à Israël d’invoquer le concept biblique de Terre promise ou de peuple élu pour justifier le retour des juifs en Israël et le déplacement des Palestiniens, la colonisation à Jérusalem ou revendiquer des territoires. L’archevêque de l’Eglise grecque melchite, Cyrille Salim Bustros a conclu : « Nous, chrétiens, ne pouvons parler de Terre promise pour le peuple juif. Il n’existe plus de peuple élu. Tous les hommes et les femmes sont devenus le peuple élu ».
3- L’usage de la langue arabe dans le cadre des institutions du Saint-Siège :
Enfin, le synode a été très fortement francophone preuve du dynamisme de la langue française au Moyen-Orient, toutefois, il préconise la promotion de la langue arabe afin qu’elle devienne une des langues d’usage du Saint-Siège. La langue arabe constitue, en effet, non seulement un lieu de communion, de témoignage et de mémoire chrétienne, mais aussi de pont entre les différentes églises ainsi qu’avec les musulmans. Dans la proposition 21, les pères synodaux expliquent comment « l’expérience du Synode pour le Moyen-Orient a mis en lumière l’importance de la langue arabe, surtout que celle-ci a contribué au développement de la pensée théologique et spirituelle de l’Église universelle, et plus précisément le patrimoine de la littérature arabe chrétienne ».
Alors que nous nous trouvons dans un contexte international complexe, avec la regrettable intransigeance israélienne, frein à la paix, ce synode s’est déroulé dans un véritable esprit de communion. Il s’est attaché à mettre en place les éléments d’une paix réelle au Moyen-Orient et d’un avenir meilleur pour les chrétiens de la région et du monde, sur la base des principes de justice, de paix et de dialogue.
Comprenant que l’administration israélienne continuera de se montrer incapable de s’engager franchement sur la voie de la paix, et voudra poursuivre de force une démarche colonisatrice qui se fonde sur l’unilatéralisme, le synode a lourdement insisté sur la responsabilité internationale et la nécessité de vivre en paix dans des frontières acceptées de tous. De sages paroles qui, nous l’espérons, seront entendues en hauts lieux.